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Indigenous Iris: an inquiry on the creation process in visual arts
Phd in Anthropolgy, Ehess, Paris.
Summary
Based on the author’s experience as a visual artist and on a curriculum in art history, this thesis is written from an anthropological standpoint, a discipline that offers tools to describe the creation process of an artwork, from the first crossing of ideas to the moment the artist consider the work finished.
This thesis builds on Alfred Gell’s proposal (2009) according to which artworks function as agents among the humans. However his proposal is refined through a specific reading of the ‘unwitching’ process described by Jeanne Favret-Saada (1977, 2009): an artist is ‘caught’ by the artwork of another artist; seeking the same ‘force’ than this artwork, in order to ‘uncatch’ himself, the artist develops their own artistic practice; by fighting the initial artwork with their own, the artist is ‘caught’ again, but by themself. This establishes a cyclic relationship of self-bewitching/self- unwitching between the artist and their artworks.
The workings of this relationship are explored along different lines. Through History first with the North American artists Jackson Pollock (1912-1956) and Joseph Kosuth (*1945). Through Ethnography then with a dozen of French and North American artists following several mode of investigation: 1) long interviews on the vocabulary they use to describe their creative process; 2) experiments where the ethnographer learns to make an artwork with them; 3) experiments in the form of a challenge where the ethnographer forces the artists to use a starting material to create their work; 4) micro-phenomenological interviews (Petitmengin et al. 2019) allowing the artist to relive and reflectively describe the action during the challenge. The whole set of investigations shows that artists, without fully mastering it, rely on what ‘catches’ them in the first place to produce their works. This production, however, turns out to be less of an end in itself than a means of coming into contact precisely with what catches them.
Keywords:
Art, Creativity, Euro-America, Sorcery, Methodology, Subjectivité
Excerpt on the title of the dissertation :
"Ce processus d’union des connaissances a pu donc prendre sous la plume de Lévi-Strauss le nom de « pensée sauvage » :
[C]ette « pensée sauvage » qui n’est pas, pour nous [« nous de modestie que Lévi-Strauss utilise dans cet ouvrage], la pensée des sauvages, ni celle d’une humanité primitive ou archaïque, mais la pensée à l’état sauvage, distincte de la pensée cultivée ou domestiquée en vue d’obtenir un rendement (Lévi-Strauss 1962 : 262).
Loin de laisser le qualificatif « sauvage » aux seules sociétés non-occidentales, Lévi-Strauss indique que pensée domestique et pensée sauvage peuvent « coexister et se croiser » comme les espèces animales dont certaines sont le fruit d’une domestication et d’autres soit n’ont pas pu l’être, soit ont été laissées à l’état sauvage. Un lieu où l’on trouve encore, comme dans un « parc national » dit-il, de la pensée sauvage en Occident est justement celui de l’art où « sans que nous sachions pourquoi [, elle] continue de prospérer » (idem).
Puisque cette pensée non-domestique prend place, c’est l’argument de Lévi-Strauss, partout parmi des collectifs par ailleurs très divers, alors c’est une pensée non pas des autres (des campagnes, des temps anciens, des pays lointains) mais une pensée qui naît également ici : c’est, au sens plein de l’étymologie, une pensée « indigène ». Et ici, cette pensée ne concerne pas des pratiques occultes ou marginales. C’est d’art dont il s’agit, c’est-à-dire d’œuvres produites par des artistes au moyen de cette pensée et auxquelles nos sociétés dédient des institutions entières.
L’autre terme du titre de Lévi-Strauss semble pouvoir faire lui aussi l’objet d’un amendement. La pensée sauvage, dit-il en la personnifiant, « approfondit sa connaissance à l’aide d’imagines mundi. Elle construit des édifices mentaux qui lui facilitent l’intelligence du monde pour autant qu’ils lui ressemble. En ce sens, on a pu la définir comme pensée analogique » (ibid. : 313). Sur la couverture originale de 1962 figure une plante : viola tricolor, dont le nom vernaculaire français est « pensée sauvage ». Il s’agit donc précisément là d’un exercice de pensée sauvage auquel se livre son auteur : il s’engage par la pratique dans le processus qui permet d’associer par analogie un mode de pensée et une plante. Il donne à voir une image sur la couverture de ce qu’il décrit à l’intérieur des pages. La pensée sauvage, comme mode de pensée, est dite aussi « engluée dans les images » c’est-à-dire « une pensée qui prend tout bonnement au sérieux les mots dont elle se sert, alors que, dans des circonstances comparables, il ne s’agit pour nous [qui manions la pensée domestiquée] que de ‘jeux’ de mots » (ibid. : 315). Dans le chapitre où figurent ces lignes, Lévi-Strauss tente de décrire les conditions nécessaires à l’émergence de ce mode de pensée. Il faut, dit-il, un « structure objective du psychisme et du cerveau » sans quoi aucun mode de pensée, sauvage ou domestique, ne peut prendre place.
À la lumière toutefois de l’analogie que fait Lévi-Strauss entre sa pratique et celle de Max Ernst, où l’un comme l’autre « assistent passivement au pouvoir créateur » de leurs objets, il semble que le processus de la pensée sauvage s’appuie moins sur de la pensée justement, qui aurait comme point focal ce cerveau, capable de cogitationes, internes à celui-ci, que sur un échange, un « dialogue avec la matière et les moyens d’exécution », eux plutôt externes à l’organisme humain. Ainsi le point focal de cette échange, entre une personne et son milieu semble plutôt « les sens assaillis » de celle-ci, et dans le cas de la question artistique qui nous occupe, le sens de la vue.
Ainsi pour imiter le maître de l’anthropologie structurale, je me permets de m’adonner également à un exercice de pensée sauvage. Pour rendre ce changement de point focal où le dialogue avec la matière se fait,cepassageducerveauausensdelavue,jeproposedechangerdefleur.D’une penséequi,entant que membre de la famille des violacées, donne image aux cogitationes on passe aux iridacées, c’est-à- dire aux « iris » puisque ce mot désigne également le muscle qui contrôle la taille de la pupille de l’œil. Lévi-Strauss a fait l’effort, de plus, de trouver une espèce particulière de viola pour donner titre à son ouvrage. « Tricolor » renvoie, en bonne description latine, à certains spécimens dont les pétales sont conséquemment de trois couleurs. Mais pour l’Helvète que je suis, venu en France pour y étudier l’anthropologie, ce qualificatif ne peut pas ne pas évoquer le drapeau national français.
Aussi l’espèce d’iridacées sur lequel mon dévolu se jette, pour continuer l’analogie francophile, est l’iris hexagona (fig). Malgré ce nom, c’est une variété native du sud des États-Unis. Ce qualificatif, comme pour viola tricolor, est simplement descriptif de la forme de la capsule contenant les graines que produit la plante. L’iris hexagona au contraire de viola tricolor n’a pas de nom vernaculaire en français. Aussi je propose de lui en donner un : « iris indigène ». Si la pensée sauvage désigne un mode de pensée trouvée à différents endroits du monde et dans le « parc national » de l’art ici, l’iris indigène pourrait désigner cette manière d’interagir avec son milieu à travers ses sens, cette recherche de cohérence spécifique entre des éléments donnés, sans qu’importe de savoir si celui qui la pratique émane
d’une sociétés d’ailleurs ou d’ici, des ruraux ou des citadins, des artistes et des anthropologues, toujours donc « indigènes » de l’endroit où ils pratiquent.
La solution de Lévi-Strauss à cet exercice d’emploi de termes polysémiques est plus élégante que la mienne en ce qu’il est parvenu à trouver une combinaison de mots qui sont attestés dans leur usage avec leur sens floral avant de se la réapproprier et de lui donner une signification différente avec ses propres écrits. Mais pour élégante qu’elle soit, cette trouvaille rend compte aussi de cette position de l’ethnographe, de l’anthropologue à sa suite, qui ne ferait que décrire des choses telles qu’elles sont à part lui. L’iris indigène a contrario est une combinaison expressément forgée pour jouer le même jeu que Lévi-Strauss mais puisqu’il s’agit de création dans les pages qui suivent, forger un terme adhoc semble approprié à l’entreprise.